Home > Newsletter > No. 30 > Alumni Creative

Au retour des Iles Marquises


by Dominique de Ziegler ('67)

Au retour des îles Marquises, l’avion vola d’abord à l’envers du sens jusqu’à Tahiti, puis à l’envers du jour vers la France. Et finalement après le départ d’Atuona, le soleil se couchait 3 fois avant que l’avion ne se pose à Paris.

Le temps qui s’arrête aux Marquises est revenu. Jacques Brel était à New York, à Carnegie Hall et j’étais en première. Et elle, je la tenais par la main. Mais le lycée n’est plus que dans les souvenirs. Jacques Brel est resté à Atuona. ‘JoJo’, son twin Bonanza, restauré par des mains passionnées et habiles, est resté là bas aussi. Il git six pieds sur terre et ‘frère encore’. Le temps qui s’est arrêté aux Marquises est revenu. Et il n’y a pas manque de brise. Nous avons déjà treize ou quatorze ans de plus que Jacques Brel n’a jamais eus. Mais je me suis égaré, trop occupé à ces vagues besognes, trop souvent écorché au cœur. Je suis guéri mais un peu tard, mais de quoi au juste? Je ne sais plus.

Voici quarante ans, avec Frans Yves, nous étions à Kaboul. L’air y était serin et clair, porté par tant d’histoire centrée sur la terre Afghane. Mais la guerre est venue et est là pour rester. Depuis j’ai couru. Poussé sans doute par la peur panique de ne pas être et par ces promesses de vie, faites à la sauvette et qui durent la vie entière. Promettre pour rembourser des dettes de quoi, je ne sais plus, ou pour payer sa lâcheté? Marie passait en longeant la coursive qui tournait autour de la cour intérieure dans l’hôtel à Kaboul. Le linge de bain noué autour d’elle s’appuyait sur ses seins blancs. Et sous le linge, elle était la terre et la France à la fois dans un monde que je voulais toucher des mains.

Ma main pousse la manette à fond. L’avion vibre et avance. Les gestes et la tête ne font plus qu’un, si bien dressés à agir et réagir ensemble. Le capot se soulève et voilà que le ciel me porte. ‘Echo-Bravo’ s’incline et vire à gauche. L’air est calme, les feux de l’aile clignotent en rouge, il fait un froid de glace. La journée et l’année touchent à leur fin ensemble, nous sommes le 31 Décembre 1977. Volets braqués, moteur réduit, l’avion revient et se pose. C’était mon premier vol solo, je suis lâché. C’était il y 1,500 heures de vol de cela. On avait dit que j’étais bien trop gauche pour conduire une voiture.

Il y a 40 ans le monde nous appartenait. Il était là et à découvrir, pour un dollar par jour. Et les images glanées ont fait un patchwork où j’ai erré. Les couleurs se sont estompées et les frontières ont été redessinées. Le Congo a repris son nom et l’Alaska est resté ailleurs. Dans l’embrasure de la Porte de Damas, une femme soldat, une sabra aux yeux de feu, veillait en treillis, le M16 en bandoulière. Je voulais la protéger en cet endroit que je trouvais dangereux pour elle, mais c’était elle qui portait le M16 et qui protégeait. Alors je voulais être protégé à mon tour. Mais je descendais les marches pour laisser aux parfums d’Orient âpres et doux, qui flottent en couches minces dans les ruelles de la vieille ville de Jérusalem, la chance d’apaiser mes émotions en fusion. A Paris, des flicesses trop grasses d’une malbouffe qui vibre et ondule sous leur barboteuse d’ordonnance traversent la rue en courant et sifflent un contrevenant éberlué. Les femmes soldats sont devenues des distractions pour télé à heure de grande écoute. Nos fantasmes errent vers d’autres frontières, celles ultimes qui bordent le corps et le cœur ensemble et où nus et découverts, nous comprenons tranquilles de plaisir et enfin là, que nous n’irons finalement pas beaucoup plus loin.

A Big Sur, l’Occident affolé vient mourir dans la mer qui elle, borde tout et revient sans cesse. Et l’air d’ordinaire si fin et éternel de ce lieu magique est d’un coup cassé en morceaux. Les oiseaux à la houppette bleue, voleurs par nature ou par besoin, se taisent. Et du trou noir qui grandit là bas d’où vient invisible le bruit qui gronde, arrivent 3 hélicoptères qui volent bas et en patrouille. Ce sont des Bell ‘Hué’ en revenance du passé, ceux-là même qui hier justement rasaient de leurs nez secs et ronds les rizières en feu du Vietnam. Ils passent ensemble et leur bruit frappe l’air avec une cadence lente et sourde. C’est à cause de leurs rotors à deux pales seulement. Ils sont comme des ‘Harleys’ du ciel, des pétarades revenues d’avant. Mais ils passent aujourd’hui sans faire peur à personne. Ils passent comme le temps qui a emmené la guerre ailleurs. L’avion Hercule décolle. Je suis debout dans la soute vide et regarde par le hublot la ville de Phnom Penh qui devient petite, et disparaît tout à fait. J’ai quitté le Cambodge et n’y suis jamais retourné.

Marie a quitté Kaboul et est rentrée en France pour le 15 Aout. Jacques Brel est resté à Atuona. Les promesses de vie écrites sur du sable rose durent pour la vie entière. Guéri par la chirurgie, on se dit ‘ce n’était donc que ça’. Mais peut-être alors, était-ce avant, et je ne le savais pas? Je n’avais donc rien vu, trop occupé à regarder au mauvais endroit? Les yeux sont attirés, mais ne sait rien. On est guéri, mais on n’a rien trouvé. Le moteur tourne. La manette est poussée, l’avion vibre. Le manche en avant, il se dresse sur ses roues de devant et s’envole. Sous l’aile, les roues tournent encore et s’arrêtent. Je vis à Paris où je marche le matin et où je marche le soir avec entre deux, ces vagues besognes. Le douanier Rousseau a vu la jungle à Paris. C’est là qu’elle est bonne à toucher, déjà domptée par l’histoire. Le soleil s’est couché trois fois depuis Atuona et l’avion se pose à Paris. J’ai amené mon fils aux Marquises et nous avons parlé de Carnegie Hall. Il y a aux Marquises des Dieux si méchants que les hommes ont enterré leurs statues de pierre la tête en bas. Seuls les pieds ressortent de terre. J’en connais un infâme, qui mériterait bien ce sort Marquisien.







TOP: Atuona; BOTTOM: Dominique avec le maire d'Atuona (ami de Jacques Brel)
TOP: Atuona; BOTTOM: Dominique avec le maire d'Atuona (ami de Jacques Brel)

TOP: Aéroport Jacques Brel, Hiva Oa; BOTTOM: Jojo, l'avion de Jacques Brel
TOP: Aéroport Jacques Brel, Hiva Oa; BOTTOM: Jojo, l'avion de Jacques Brel
TOP: 'Close to a friend, Paul Gauguin'; BOTTOM: 'Jacques Brel est resté à Atuona'
TOP: 'Close to a friend, Paul Gauguin'; BOTTOM: 'Jacques Brel est resté à Atuona'
TOP: Inn  at Big Sur; BOTTOM: 'All is fine, I'm at the controls'
TOP: Inn at Big Sur; BOTTOM: 'All is fine, I'm at the controls'