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-- Le Chemin de Saint Jacques: Roncevaux / Santiago de Compostella

by Madeleine (Barraud) de Bérard ('62)
Juin 2006

Certains, les incrédules ou les sceptiques, ont demandé un court récit, d’autres ont voulu savoir les raisons de notre pèlerinage.
C’est une vieille histoire, ancrée sur un chemin jalonné de pas anciens et habité d’âmes…
Les raisons sont multiples, confuses, on attend des rencontres, des découvertes, l’inattendu, c’est un désir de liberté, de légèreté mais il faut insister sur deux moments particulièrement rudes: partir et....revenir
Partir, se décider, lâcher prise, ne pas s’enfuir, se préparer, si peu, savoir qu’on ne sait pas marcher mais avancer quand même.
Partir, avec la belle bénédiction ancienne des pèlerins du Moyen âge, dans l’austère église de Roncevaux, en allemand, français, anglais et espagnol qui nous rassure : rude, solide, porteuse, envoyée « à tous ceux qui marchent, croyants ou non », rassemblés autour de l’autel.
Avoir l’air ou ne pas avoir l’air....de quoi ? de pèlerins ? de marcheurs ? de sportifs ? de ceux qui savent ? de chercheurs ???
S’offrir des vacances de tout....
Faire une folie, un peu absurde, assez amusante, fatigante aussi, une petite folie à deux, entre la confiance et l’inquiétude…
Un luxe : du temps.....de l’espace.....et la liberté absolue.....est ce possible ?

La liberté s’installe vite, la rupture aussi, même si nous avons été tentés d’abandonner le 3ème jour, à Pampelune, le bout du monde quand on arrive à pied, sous une chaleur écrasante ! mais non, nous avons continué… Le bus nous sauvera deux ou trois fois, mais le total des km de marche parcourus atteint, néanmoins, 680.....
Devant des ruines de grands moulins et l’église de Zariquiegui , ça grimpe rude vers « El Monte del Perdon », il fait chaud et l’horizon est gâché d’éoliennes qui tournicotent sans but, tricotent sottes, comme des demoiselles idiotes dans un bruit infernal à rendre fou Don Quichotte
Plus loin, c’est la Rioja. Les vignes sont belles, aux troncs bas et noueux couchés sur un sol caillouteux et le soleil tape : on comprend le degré d’alcool !

Ce chemin rend les rencontres exceptionnelles : l’échange est immédiat, essentiel et sobre, paradoxalement intime et anonyme; avec un peu de chance et si la sympathie s’en mêle, nous espérons retrouver Juan, ou Francisco ou Ana, Yvon et Christiane.. . peu importe leur nom, Augustin que je n’oublierai pas et lui non plus, un nom, quelques pas partagés, sans aucunes références, rien d’autre que le moment présent et la démarche qui nous permet de nous croiser.

Puente de la Reina, Estella, Los Arcos.. Logroño… Burgos est inaccessible, si loin, arriver à Burgos à pied ? impensable !! !!
Najera.....

Les sentiers se font rudes sous le soleil, les merveilleuses églises romanes restent, hélas, fermées.....
Nous suivons le chemin indiqué, comme toujours des « coquilles jaunes sur fond bleu » bleues sur fond jaune, peu importe, ou des flèches jaunes, des cailloux sur la terre et, accessoirement, les panneaux du premier chemin « culturel » de l’Europe, Ce fut une rare occasion de s’énerver : pourquoi chemin « culturel » ? était-il impensable de dire « spirituel », à défaut de « religieux, sans doute insupportable aux européens ( comme, si cela leur eût fait grincer des dents de dire « chemin spirituel » à défaut de « religieux », puisque les seuls) monuments visités et visitables, éventuellement, sont des églises, des monastères et des musées religieux.
On rentre, enfin, en Castilla y Leon ; il fait chaud… Nous avons pris le rythme du lever matinal et de l’arrêt le plus tôt possible mais nous marchons lentement, seuls, tranquilles et rejoignons la halte souvent assez tard.

On est en plein surréalisme : au XXI ème siècle ! des « bobos » comme nous, à pied, suant et peinant, les jeunes aux refuges, les autres chez les routiers ou autres auberges privées… pourquoi ? quel sens ?.....
L’Espagne est également surréaliste avec sa statuaire étonnante, son modernisme tout aussi surprenant, internet dans le moindre café sur le chemin (en comparaison avec les cafés de la France profonde… ), ces petits villages presque morts ont basculé du moyen âge au 21ème siècle et nous dépassent largement !

Belorado, ville glauque : l’impression d’une industrie morte, de logements ouvriers dévastés, une tristesse infinie.....Des jeunes traînent sur les trottoirs, à boire des bières ou autres, au goulot, selon la mode espagnole, à moitié défoncés… Des cigognes sur le clocher plat de l’église et nous allons à la bénédiction des pèlerins ; paradoxe dans le désarroi : c’est un des rares villages où nous pourrons avoir un semblant de halte religieuse, à l’église, une fort belle bénédiction en trois langues, anglais, français et espagnol :
« Grâce pour le chemin et la joie de pouvoir le suivre
« Grâce pour les raisons qui vous ont conduit à le faire
« Grâce pour que vous soyez des étoiles pour les autres »

Après Burgos, le plateau de Castille m’enivre : c’est vraiment un plateau, sec, éblouissant de lumière, pas un arbre, pas un être vivant, ni un troupeau, de la caillasse, de la terre sèche, du blé doré à l’infini et le soleil implacable, une seule source fraîche, miraculeuse, derrière un muret de pierre, sur 25 km. Et je cheminais, je cheminais.. et soudain, le vent ne fraîchit pas… mais pas du tout ! mais le tintement de la cloche monte de la terre avant que nous ne découvrions un toit. Merveille de ces sons qui montent vers le ciel…Notre très longue marche, de Burgos à Hontanas nous étale cet univers de solitude : le village où nous tombons, où nous nous effondrons enfin, exténués, le village est au fond du creux ! !
Et encore 25 km de caillasse au soleil, et encore des pierres et des moustiques et encore monter et descendre.
Et brusquement, une autre merveille surgit: Fromista, la divine église romane Saint Martin, harmonie, sérénité, discrétion, splendeur, et Augustin, par hasard, à cet endroit ?

C’est long, Castilla y Leon, toujours un plateau, le soleil, le vide, le silence, la solitude, des tronçons de chemins droits, sans ombre, sans arbres, parfois le long de la route nationale, monotones, rudes, des pans de 12 km sans village, sans personne.
Sahagun, Reliegos, villages perdus, il y a toujours du monde au départ, mais nous nous retrouvons seuls rapidement, nous sommes parfois accompagnés un temps puis « le chemin m’appelle… à plus tard,…ou…à jamais…. »

Leon, c’est le retour en ville, une arrivée épouvantable dans les méandres des stations services, zones industrielles, et supermarchés, décharges et échangeurs, l’asphalte fond sous le soleil et le sac colle.

Leon, c’est presque la fin de la Castille et c’est toujours l’Espagne traditionnelle, le jour du Christ Roi, avec cette somptueuse procession comme on n’en a pas vu depuis les années 50 en France : reposoirs, petites communiantes en blancs et garçons en costume pseudo- militaire, reposoirs à chaque coin de rue et le char qui se penche pour saluer ou qui tangue un peu de trop de « caňas ». (cannettes de bière). C’est émouvant car on sent une force et une authenticité dans ce respect des traditions.
Mais enfin, Dieu merci, le chemin éloigne des bruits et du monde. Les récites de pèlerinage se plaignent souvent de trop de monde mais nous avons toujours marché seuls, croisés, dépassés mais pas gênés par les autres.

Peu à peu on sent la montagne se rapprocher ; le paysage change, peut être un peu plus de monde, un peu de fraîcheur dans la nuit, quelques montées qui s’allongent.
Notre expérience des auberges n’est pas concluante ! soit nous n’avions pas « l’esprit », soit nous sommes mal tombés, soit nous sommes trop vieux ou pas assez « croyants » ; bien accueillis dans la 1ère (Reliegos) nous n’avons pas pu dormir, dans la seconde (El Burgo Raniero), forte impression de déranger et on n’y parle même pas espagnol !, chassés de la 3ème pour cause de bus, nous avons atterris dans la 4ème, cadre charmant, joli jardin de curé, accueil…surprenant et sécurité limite, quant à l’hygiène, j’y reviendrai mettre de l’ordre. Mais c’est là que nous avons appris au milieu de la nuit et d’un groupe de pèlerins hétéroclite, la naissance de Jean, notre 6ème petit fils, le 19 juin. Belle nouvelle qui s’est répandue comme une traînée de poudre tout le long du chemin, en amont comme en aval. Comment ? Mystère……..
Ce n’est plus tout à fait le plateau de Castille : la route est très belle, brume dans les peupliers, les « encimas » sont odorants, il fait frais, le sentier se tortille sur les hauteurs, superbe.

Santibanez, Astorga, Rabanal del Camino…, Cruz de Hierro

Et nous voilà à la 1ère étape mythique, Cruz de Hierro ; le sentier monte doucement vers la hauteur avec cet immense mat surmonté d’une croix de fer. Le site est superbe et émouvant. La vue est magnifique. Nous profitons du silence pour nous approcher du talus de pierres, et de cailloux, déposés depuis des siècles par nos prédécesseurs. Emotion, malgré tout, de ce panorama attendu, espéré, habité par tant de pieds fatigués et d’âmes moulues…Nous déposons, comme tout le monde, nos intentions, une image pour Jean, le dernier né, nos pensées à chacun et chacune, enfants et petits enfants, parents….Le paysage a bien changé, malgré la chaleur persistante : c’est vert, plus montagneux, les vignes réapparaissent .

Molinaseca, Villafranca del Bierzo…

L’ « ave maria » de Schubert résonne admirablement dans l’immense basilique. Un groupe de français visite en même temps ; ils sont en voiture, lui a fait le chemin l’année d’avant et le parcourt en voiture cette fois-ci pour revoir tout ce qu’il n’a pas pu visiter. Il nous interroge, pressant, curieux, presque indiscret, sur nos motivations. C’est la grande question, toujours posée, à laquelle on répond comme on veut, comme on peut ; pour moi, ce fut la liberté retrouvée, liberté absolue, le cadre, le temps, les pesanteurs de la vie de côté, une méditation, une respiration enfin.

La beauté de cette autre étape mythique, passage en Galice, paysage somptueux, vue sur les vallées, les fleurs….. nous échappe ; nous sommes dans un brouillard épais, froid, humide, à ne pas voir à 10 mètres dans la forêt sûrement magnifique. Mais à 6h du matin, c’est raide, raide : on grimpe sur de sortes de grandes dalles glissantes, 9km, 500 m de dénivelé, sous la flotte, des lacets, il paraît qu’il y a d’immenses champs de bruyères et une vue magnifique. J’ai froid, vraiment, les muscles se raidissent, j’en pleurerais presque, jusqu’au sommet. L’enveloppe de brume donne un air très mystérieux à ce vieux village déjà celtique ; nous avons quitté Castilla y Leon, ça se voit depuis un moment : vielles granges rondes, une très belle église romane, des stèles de passages, mystère !

Alto de Polo, Samos, Saria, Portomarin, Palas de Rei, Arzua
De plus en plus de monde : les marcheurs ont droit à la « credential » à condition d’avoir parcouru au moins les 100 derniers km à pied ; du coup, on se bouscule au départ des étapes, beaucoup d’espagnols, des cavaliers arrivent sous notre sentier, des vélos.
C’est un nouveau spectacle : éclatements de verdure, rosiers grimpants croulant de fleurs, hortensias énormes qui me rappellent la Bretagne et le pays de Galles, de belles forêts de chênes, d’eucalyptus énormes et odorants, avec ces longues plaques sèches dont je découvre que c’est leur écorce qui tombe régulièrement, au fur et à mesure de leur croissance, sans doute, ce qui fait un sol sec et enflammable à souhait.

Soudain une borne…. 25 km……..Ciel…. Mon Dieu…. Y serions-nous enfin ? Ce n’est pas croyable : il ne reste que 25 km ? Depuis un mois nous marchons tous les matins, lever aux aurores, pas réguliers, haltes, attente, de quoi ? du but ? si prêt de l’arrivée, je ne peux m’empêcher d’un sentiment de chagrin, d’angoisse ; nous étions si bien, si libres, chez nous tous les jours, dans une liberté inouïe, inconnue, inoubliable, merveilleuse…. Joie de l’arrivée, peine de la fin….

Le Dimanche, nous allons à la messe à midi, la cathédrale est pleine, prières dans toutes les langues et le « Botefumeiro » s’ébranle à la fin…lentement et s’élance de plus en plus haut, envoyant aux cieux avec cette force exaltante nos pensées et nos peines , nos prières et nos amitiés….

Sous la tour Berenguela, la place Praterias, assis sur les marches, ou dans les bras les uns des autres, on se retrouve, on pleure de joie et de tendresse comme des gosses, la jolie Olivia belle allure, beau caractère, déjà de retour de Finisterra avec ses longues foulées, échange des vœux avec Gabriel « bonne vie » dit-elle ! !, et le colonel qui ressemble à Crevoisier, les deux jeunes, la canadienne Charlie et l’australienne Sandra, épuisées et heureuses ; on retrouve Yves et Marie Claire, pleurant tous les deux (ils viennent de Vannes, à pied…), après leurs émotion et accidents de santé, on ne peut se quitter,
C’est un magnifique partage d’émotion et d’amitié avec tous ces pèlerins qui ont croisé, accompagné, dépassé notre chemin…. Qui sont-ils ? peu importe, ce qu’ils ont montré d’eux, ce qu’ils ont donné, ce que nous avons échangé au delà de tout, et dans le hasard des rencontres, nous est essentiel, un pur bonheur.