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L’aviateur et les hirondellesby Madeleine (Barraud) de Bérard ('62) "Une histoire absolument vraie arrivée à mon grand oncle l’an dernier." Dans un vieux moulin de l’entre deux mers, vit, seul, un grand père de 90 ans. Parmi ses nombreux enfants, certains habitent tout près, dans des annexes de la grande maison. Les autres, dispersés, viennent néanmoins le voir régulièrement. Quelle maison ! maison de maîtres, cuvier, pressoir, garage, tour, souillarde, coins et recoins en font un lieu mystérieux et chargé d’histoire ; une chanson avait été rédigée à l’occasion d’une grande fête de famille pour ce « vieux moulin extraordinaire », chanson entonnée par une centaine de personnes, heureuses de se retrouver dans le jardin sauvage de cette si vielle maison vivante. Quelle maison ! trois pièces en enfilade s’ouvrent sur la façade, avec, au centre, un billard, objet magique pour tant de petits enfants, dont le bruit de boules résonne toujours à leurs oreilles, ainsi que les remarques sur la délicate manipulation des queues !. Derrière, un long couloir, et la tour bibliothèque : rien à voir avec Montesquieu ou Montaigne ! Un empilage de journaux, des étagères croulantes, de doubles rangées de livres assez poussiéreux et les différentes marches branlantes pour aller vers les arrières pièces et les « commodités ». L’escalier, assez raide, dessert un demi-étage de pièces biscornues, ouvertes l’une dans l’autre, puis l’étage noble avec ses cinq chambres. Quelle maison ! Une cuisine et une arrière cuisine dont l’immense cheminée servait autrefois ; on y grillait les tartines du petit déjeuner en un savant équilibre de fourchette posée sur une brique … Et puis l’usine ! dans le prolongement de la maison, un joli vieux préau, une immense cheminée et de vieux bâtiments abritent l’usine : un précédent grand père, moderne, avait installé une turbine qui, bien avant l’électricité pour tous, donnait un courant irrégulier mais si poétique : les lampes variaient de luminosité suivant la force du courant ! mieux que les longues mèches des vacillantes lampes à pétrole, toujours à portée de la main, car on ne sait jamais ! ! Cela avait été rendu possible par le passage du bief détourné de la Laurence et le dénivelé permettait la mise en route de l’installation Ce lieu mystérieux et dangereux (on voit passer l’eau sous les quatre marches) continue à vivre pour d’autres usages ; c’est là qu’on prépare les grillades traditionnelles sur les sarments de vignes… et les hirondelles s’installent à chaque printemps. Notre grand-père aviateur vit seul, donc, aidé par de nombreux passages variés : une femme de ménage, une infirmière, une lectrice, et les fréquentes visites de sa famille proche. Ce grand-père est un original, viticulteur selon une vieille tradition familiale, (les meuniers étaient devenus vignerons) mais surtout ancien aviateur, passionné longtemps capable de sortir de table pour voir passer les avions, (de même au volant de sa vielle deux chevaux ! ) connaissant les horaires du Paris Madrid régulier survolant de très haut sa propriété, farfouillant dans ses papiers et sa mémoire à la recherche de vielles chansons de sa jeunesse avec les scouts et les routiers, empilant les journaux, découpant les nécrologies, un peu bourru à force de vivre seul, mais en forme et très indépendant. Cet hiver là, 2010, fut long, avec des poussées de chaleurs trompeuses, suivies de redoublement du froid, de neige et de pluie. Néanmoins, la date du printemps arrive toujours même si le climat reste frais ; aussi, pour poursuivre une ancienne coutume, dès que passe la mi-avril, on surveille les hirondelles et on se souvient que, par je ne sais quelle mémoire, elles reviennent dans leurs nids de l’année passée. Or donc ! ! ! depuis longtemps, les hirondelles avaient opté pour «l’usine» et y installent chaque année leur nid. Et le grand-père ne l’oublie pas ! si bien qu’un soir de la fin mars, le voilà qui se soucie de leur passage et comme les portes de l’usine sont fermées l’hiver, elles risquaient bien de ne pouvoir s’y installer. Il y avait urgence, c’était le jour ! et derechef, il sort, vers cinq heures, seul, bien sûr, pour aller ouvrir les portes, passe par dehors, ouvre, et grimpe les quatre marches et… trébuche en haut, s’effondre, la tête près de l’énorme pas de vis où il aurait pu se fracasser. Pas moyen ni de se relever, ni d’appuyer sur son « bip » d’urgence, inutile d’appeler…..personne n’arrive avant le lendemain matin. Quelle soirée ! et quelle nuit ! qu’a-t-il pensé ? a-t-il dormi ? a-t-il eu froid ? a-t-il eu peur ? s’est-il fait mal ? Moi, je sais ce qui s’est passé : les hirondelles sont arrivées, ravies et elles ont reconnu leur aviateur. Un peu inquiètes, elles se sont installées autour de lui et lui ont raconté leurs voyages, les nuages magnifiques, de la même couleur que leurs plumes, nuées qu’elles venaient de traverser, le cuivre et l’orange de ce superbe lever de soleil sur le Sahara, les oueds assoiffés du Maroc et les palmiers, les tempêtes monstrueuses des mers du sud. Toute la nuit, elles ont tournoyé autour de lui, pépillant joyeusement de ce si joli cri aigu qu’on n’entend que le soir; elles lui ont dit les étoiles, les arbres et le printemps qui vient. Elles l’ont caressé de leurs ailes bleues, elles l’ont réchauffé en se blottissant contre lui, et remercié en lui picorant doucement le visage avec leur bec ; et je suis sûre qu’elles lui ont chuchoté plein de secrets qu’il ne racontera à personne. Et puis, elles ont retrouvé leur nid tôt le matin et se sont endormies. Depuis ce jour, les hirondelles attendent le printemps avec impatience, pour raconter leurs aventures à leur ami. Madeleine de Bérard Avril-juin 2010 |
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